« Et vous raconterez à mon père tout mon cavod en Egypte… » (Béréchit 45-13)
Cette demande de Yossef nous fait à priori penser à un fils qui a réussi et qui demande à ses frères de le raconter à leur père. Et bien évidemment ce comportement ne ressemble pas à Yossef hatsadik. Voyons dans un premier temps le commentaire de Rabbi Nathan sur ce passage :
« Yossef a précisément demandé à ses frères de raconter à Yaakov son cavod en Egypte car il avait réussi à y élever le cavod de la sainteté. Et par conséquent la fin du verset dit : dépêchez-vous et descendez mon père jusqu’ici. Car Yaakov n’avait plus rien à craindre de la descente en Egypte pour ses enfants étant donné que Yossef les avait précédés et avait réussi à élever le cavod de l’exil » (Likoutey halakhot , betsiat hapat 5-43).
Le mot cavod est généralement traduit par gloire et honneur. Selon le langage populaire, quelqu’un à qui on donne du cavod, c’est quelqu’un à qui on rend honneur et respect. Néanmoins il faut ajouter un peu plus de profondeur à une telle définition .Imaginons une personne qui se rend pour la première fois dans une synagogue où il ne connait personne. Il se met timidement dans un coin jusqu’au moment où on lui fait l’honneur de monter à la Torah. Lorsqu’il rentrera chez lui, il annoncera avec joie et empressement qu’on lui a donné du cavod à la synagogue. Mais ce qu’il veut dire en vérité, c’est qu’au moment où il a été appelé et durant toute sa montée, il s’est senti existé. On l’a fait exister. C’est la raison pour laquelle les sages nous demandent de donner du cavod à l’épouse, il ne s’agit pas de lui faire des honneurs comme on en ferait à un président de la république mais plutôt de communiquer avec elle, de penser à elle, de faire des efforts pour elle (et pas simplement pour qu’elle nous laisse tranquille). C’est ainsi qu’elle se sent exister. Dans ce sens, le verbe lékhabed ne signifie pas respecter mais bel et bien faire exister. En résumé on peut dire que la traduction du mot cavod est EXISTENCE.
Ainsi on comprend bien ce qu’a enseigné Rabbi Nathan. Yossef avait dévoilé l’EXISTENCE de la sainteté même en Egypte. C'est-à-dire qu’il avait réussi à préparer le terrain pour que son frère et ses frères viennent y résider en ne craignant pas de perdre leur identité juive. Car le tsadik dévoile des enseignements qui permettent à n’importe lequel d’entre nous, aussi bas soit-il tombé dans son Egypte personnel, de se rattacher à D-ieu. Par conséquent donner du Cavod à Hashem, c’est en quelque sorte Lui permettre d’exister dans notre vie. De la même manière que, dans une autre mesure, l’autre n’a de place dans notre vie que celle que nous lui donnons. Ceci est un aspect fondamental du libre-arbitre.
Par ailleurs Rabbi Na’hman enseigne dans la Torah 6 du Likoutey Moharan, premier tome :
« Chaque être humain doit diminuer son cavod personnel et rajouter au cavod de D-ieu. Car celui qui poursuit le cavod n’atteint pas le cavod divin mais seulement le cavod des rois sur lequel il est dit dans Michlé: le cavod des rois est une chose sur laquelle on enquête. Et tout le monde remet en question celui qui court après un tel cavod. Ils demandent : qui est-il et pour qui se prend-il ? Car on lui conteste un tel cavod en disant qu’il ne le mérite pas. En revanche celui qui fuit le cavod, c'est-à-dire qu’il diminue le sien pour rajouter à celui du Créateur, mérite le cavod de Dieu. Et alors personne n’enquête afin de savoir s’il lui revient ou pas. Et sur lui il est dit dans Michlé : le cavod de D-ieu est une chose cachée. Car il est interdit de l’investiguer ».
Celui qui cherche à exister (souvent à travers les honneurs ou la gloire) mais qui ne laisse pas de place à l’existence de D-ieu, ne recevra en retour que vexations et désappointements. Le fait qu’il soit ouvertement critiqué est en fait un appel du ciel pour lui montrer qu’il se doit de briser son orgueil, sinon les autres le feront à sa place, ce qui fait beaucoup plus mal même si on ne l’admet pas toujours en public. Ainsi on ne le respectera pas parce qu’il ne se respecte pas lui-même. Car s’il se respectait lui-même, il aurait donné de la place à l’existence de D-ieu, car il n’existe pas de meilleure chose que cela. Vivre à deux, c’est faire exister l’autre. Vivre avec D-ieu relève du même principe. |